L’instant du renard

J’improvise un peu, là, à brûle-pourpoint. Quand j’ai créé ce blog je m’étais dit que j’essaierai de ne pas faire de l’insta(gram)-washing, c’est à dire de ne pas tenter de faire croire que tout est merveilleux à coup de filtres photo. J’ai lu récemment quelques pages (fb, insta…) dans lesquelles des jeunes installé.e.s explosaient tout à coup en dévoilant que non tout n’est pas beau et rose quand on se lance dans un projet de reconversion, de micro-ferme, de paysannerie, il y a des moments de fatigue de découragement… Et donc je m’étais promis de dire la vérité, rien que la vérité, dès le début, pour ne pas donner l’impression que c’est facile puis de risquer d’exploser en vol sans raison apparente à un moment donné. Je ne me doutais pas que ce genre de moment arriverait aussi vite et pour des raisons aussi multiples.

spoiler : cet article possède une happy-end ou plutôt, une fin heureuse. Si vous êtes plutôt du genre à ne croire qu’en l’amour ou ne lire que les dernières pages d’un livre alors cliquez ici. Les amoureux des mélodrames peuvent tout lire.

Le journal des plaintes

Comme pour beaucoup d’entre nous, les dernières semaines ont été un peu éprouvantes : enfant cas contact et re contact de cas contact, le planning qui part sans cesse en vrille, les rendez-vous annulés, l’impossibilité de respecter ses objectifs parce que non un enfant de 2 ans ne comprend pas « non, papa travaille » alors qu’une rangée de majorettes orne le clavier de son ordinateur. Puis l’enfant en question est à son tour malade, mais non, tests négatifs, « juste gastro », nuits déréglées pendant des jours et des jours, rendez-vous de nouveau annulés pour le garder, retard dans les cours… Et encore, se lever pour son enfant aussi nauséabond soit-il, ça reste une partie facile, l’Amour n’a pas d’odeur.

Ce que je n’avais pas mesuré c’est la décompensation après avoir quitter une Entreprise dans laquelle j’ai travaillé 12 ans et pour laquelle j’avais (j’ai toujours sur le principe) un profond attachement. Je ne regrette pas de l’avoir fait, pas une seconde. Mais une rupture, même conventionnelle, n’est pas sans conséquences. Un deuil est en cours.

Ce que je n’avais que partiellement anticipé, c’est le poids administratif pour amorcer ces changements et l’âge de pierre des administrations qui en assurent la gestion. Le parcours d’installation (parcours PPP), se fait exclusivement en version papier… Des pages et des pages rien que pour déposer le dossier et amorcer, pas de suivi de dossier, vous déposez votre dossier et vous attendez, à l’ancienne.
Ce que je n’avais pas anticipé non plus, c’est que pôle emploi mettrait en cause la mise en place de mon indemnisation… Dans le feutré d’une maltraitance institutionnelle assez manifeste. (Si une tête pensante de Pôle Emploi a envie de rendre la dématérialisation des démarches en ligne un peu intelligente et humaine, contactez moi je peux vous orienter). Je ne vais pas développer ici, mais en gros une enquête est en cours pour savoir si je mérite mon indemnité (j’en ferai peut-être un article un jour). Pour le moment, je ne sais donc pas si je serai demain sans ressources ou non. Autant dire que ça pèse un peu dans le projet… Et dans la qualité des mon sommeil.

Il suffit ensuite de saupoudrer de quelques grammes d’anxiété naturelle et de stress et vous obtenez une moyenne d’environ 4 heures par nuit depuis plusieurs mois. Sans même avoir vraiment commencé à taper dans la butte.

Intermède

Oui je vous entends dire, holàlà, si il se décourage déjà maintenant, il est pas arrivé le garçon, tout ça n’est pas si méchant. Et vous n’aurez pas tord. J’ai parfois besoin de tout voir en noir et de m’apitoyer un bon coup, pour recoder le logiciel et repartir de l’avant. Ce recodage il tient souvent à pas grand chose, une phrase dans un livre, une rencontre, un micro-évènement, juste un instant… Il a fallu un peu de tout ça, mais le point final a été…

le renard

Ce matin je suis rentré dans le champ.

La première chose que je fais toujours, c’est chercher des yeux mes deux protégés. Mes deux pies (terme relatif à leur couleur). En général je leur parle de loin, mais ce matin, non. Je suis resté silencieux, concentré sur eux, j’ai profité de chaque pas qui me séparait du premier. Dans ces moments une part de moi se tait totalement à l’intérieur, elle accepte de se taire, d’arrêter de me harceler de questions, de plannings, de calculs, de liste de tâches… Une autre s’ouvre totalement, au chant des oiseaux, aux herbes gelées sous mes pieds et du coin de l’œil, là, à quelques mètres, au renard.

Il ne m’a pas vu. Je suis à 50 mètres de lui, peut-être moins, comment est-ce possible ? Il n’y a que les herbes de la prairie qui nous séparent. Je me déplace encore de quelques pas de manière à ce que mes jambes se confondent avec celles des chevaux, je me mélange à eux. Je salue silencieusement mon grand clown dégingandé (promis je vous parlerai de mes chevaux un jour, je ne suis pas prêt), je prends sa tête dans mes bras et lui gratte le menton et la houppette. Il se dégage au bout de quelques secondes et se tourne pour me tendre ses fesses… Je suis son gratte cul. L’Amour n’a pas d’odeur ? (ellipse).

Je me faufile entre les chevaux pour m’approcher de mon prince cheval, le sage, il est le plus prêt du petit indigent qui s’est maintenant animé. Je m’étonne d’ailleurs de cette proximité. Le renard jette en l’air ce qui semble être un petit rongeur, il est jeune, il est magnifique. Tout occupé a son affaire, il ne m’a toujours pas vu. Au moins 10 minutes que je suis dans le champ et il ne m’a toujours pas vu, ni entendu. Je suis le vent, je suis un souffle, je suis un songe. Mon prince n’a pas très belle allure cet hiver, le front dégarni et le poil triste, mes efforts pour le débarrasser des parasites sont pour le moment vains. Il accepte néanmoins volontiers mes hommages, la tête dans mes bras à son tour et des grattouilles, bien appuyées.

Il se passe encore 10 minutes, le renard a mangé sa prise et se concentre sur une prochaine chasse. Par chez nous et dans cette période hivernale, un renard qui croise un humain à cette distance a peu de chances de survie. Je n’en reviens pas de son insouciance. Et puis tout à coup, je me sens heureux, j’ai envie de le remercier. Ce renard, en quelque sorte vient de m’adouber. Je suis le vent, je suis un souffle, je suis un songe. Je suis cheval, au milieu des chevaux. Je suis renard dans la prairie. Je suis à ma place d’animal humain. Enfin… je me recharge.

Tout à coup je réalise que tout ça n’a pas beaucoup d’importance. Je ne sais pas encore où m’emmèneront mes projets, ni même si à l’arrivée les choses ressembleront à ce que j’avais imaginé, ni même si ça fonctionnera. Quelle importance ? Je sais que toutes les décisions que j’ai prises sont pour le moment les bonnes. Y en a-t-il de mauvaises ? Je sais que je vais y arriver… Quelque soit le chemin… Quelque soit où il mène. J’y serai. Grâce à mon renard intérieur, porté par les jambes de mes chevaux.

Je suis le vent.

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Continues, lâches rien, ça va le faire: Avis du renard extérieur.

Le changement n’est jamais anodin…

Bon courage

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